Interview effectuée en décembre 1996 dans l'atelier de Kentaro Miura.
Version officielle française parue dans l'Illustration File, Anne-Sophie Thévenon pour Glénat, 2009
Berserk est votre première oeuvre, n'est-ce pas, maître Miura ?
En effet, même si au départ, c'était une histoire complète.
Lorsque vous avez commencé la publication en épisodes, aviez-vous en tête la structure d'une histoire sur une telle échelle ?
Non, pas du tout, Au départ, je laissais plutôt les choses suivre leurs cours. Toutefois, quand j'ai gagné un prix et que c'est un magazine shônen qui devais me publier, j'ai consciemment décidé de faire un shônen manga avec un héros sombre, dans un univers de fantasy. Il faut dire qu'à l'époque, il y avais peu de héros de ce genre dans les shônen, et encore moins dans cet univers-là. L'un des rares qui existait était Bastard !*, et quelques autres du même genre. Je me suis donc dit que j'allais en explorer le côté sombre... Mais pour le reste, je ne savais pas du tout où j'allais. C'était ma première publication en feuilleton, ce n'était pas une adaptation, et je ne savais même pas comment il convenait de s'y prendre, ah, là. là (rires). Mais je considérais comme très important, pour commencer, de bien définir le héros.
Et aviez-vous depuis longtemps à l'esprit une sorte de modèle quant à l'image de ce héros, Guts ?
Eh bien, on ne peut pas dire qu'il y avait un modèle de Guts à proprement parler ; mais aimant la SF et la fantasy, j'ai fait pas mal de gribouillages pendant mes années d'études, et parmi eux, beaucoup de personnages lui ressemblaient. Il a été crée en rassemblant tous ces fragments, en quelque sorte. Ma première image du guerrier était celle d'un guerrier noir, borgne et avec une main artificielle ; c'est à peu près tout. Les autres détails ont été pris ailleurs, comme ses traits, tirés d'un de mes mangas de SF. Les sources sont toutes assez variées.
Et d'où vient le nom de Guts ? Est-ce que vous le gardiez sur le feu depuis longtemps ?
Oh, non (rires) J'y ai réfléchi à peu près au moment où je me suis demandé si le manga pouvait se faire ou pas, Et alors, conscient qu'il allait s'agir du personnage principal d'une œuvre destinée aux garçons, je me suis dit qu'un nom avec une consonne gutturale ne serait pas mal. Et puis, il a aussi une consonance un peu allemande. Ces aspects-là m'ont plu, alors je l'ai adopté. II y a beaucoup de jolis noms, ou d'autres qui possèdent une consonance très fantasy ; Guts, je l'ai choisi seulement parce que ça allait avec le shônen manga, à l'époque. Et puis, je ne l'ai appris que plus tard, mais il y a un mot à consonance voisine en allemand qui signifie "chat", katz ou gatz. Alors, j'ai trouvé que ça lui allait plutôt bien, lui qui a des côtés un peu "chat sauvage". Même si vraiment, c'est une coïncidence dont me suis aperçu bien plus tard...
Et d'où vient le fait qu'il porte toujours une épée géante ?
Évidemment, cet aspect-là a demandé beaucoup d'élaboration. Le canon dans sa main, cette énorme épée, ses vêtements noirs, et aussi le fait qu'il soit borgne, tout cela fait partie d'une certaine image, mais... Le canon et l'épée sont des idées dont je suis fier. II faut dire que je suis d'une génération qui a pris entre autres Hokuto No Ken* en pleine figure. Le plus important dans un manga, c'est l'idée. Alors, c'est à ce niveau que se situait le défi pour ma génération, plus qu'à celui du scénario ou des personnages. Dans Hokuto No Ken, moins que la personnalité de Kenshiro, cette idée serait le Hokuro Shinken. L'idée que l'on explose si l'on est touché par lui est vraiment géante. Alors, ce qui était la mode parmi mes camarades, à l'époque, c'était d'arriver à trouver une idée peu conventionnelle, et qui en jetait. Au fond, un mangaka, c'est quelqu'un qui imagine ces choses, qui a la capacité de les imaginer. Donc, moi aussi, je me suis creusé la tête. D'où l'énorme épée, la démesure générale...
Et vint aussi le canon...
Au départ, j'avais juste en tête l'image d'une arbalète. Pour l'épée aussi, je pensais à l'origine à une sorte de katana japonais, quelque chose d'extrêmement tranchant, mais c'est parfait quand on peut améliorer l'idée de base, vous voyez. Pour l'arbalète, ce serait un canon. Et puis, dans la fantasy, à l'époque, il était rare que les intrigues se placent dans un univers où le canon existait. Alors, le fait d'inclure jusqu'à l'ère du canon est la dernière et la meilleure touche que j'ai apportée.
Vous parliez de l'ère du canon, cela veut-il dire que vous avez clairement placé l'action dans une certaine période historique...
Bizarrement, ce n'était pas le vraiment cas. Même si j'y ai beaucoup pensé au début, n'est-ce pas. Les aspects sordides correspondraient au début du Moyen Âge, mais pour les aspects resplendissants, ce serait à une époque bien différente, celle du château de Versailles. C'est pourquoi j'ai réuni tout le Moyen Âge d'un coup, du début à la fin, et j'en ai fait une seule époque. Par exemple, je crois que le bal du Midland correspond à une période bien plus proche de la nôtre ; alors que les histoires de fiefs féodaux se placeraient dans un passé bien plus lointain. Il en est de même pour la chasse aux hérétiques. Donc, je pense que dans une perspective d'Européen, les gens doivent se dire : "Mais qu'est-ce que c'est que ça ?!", d'une manière équivalente à celle dont nous, les Japonais, nous ressentons parfois l'image que les étrangers peuvent avoir du Japon, du genre : "Ooh ! Ninja !". Toutefois, je dessine avant tout cette œuvre afin qu'elle plaise à un public japonais, alors tant pis. Je ne travaille pas avec en tête une stratégie de succès international ! (rires)
Vos détails sont très précis. Vous devez beaucoup vous documenter, n'est-ce pas ?
Bien sûr, car je veux que cela ressemble visuellement à l'Europe au Moyen Age. Je rassemble beaucoup de documentation picturale. Pour dire la vérité, j'ai vraiment beaucoup hésité au moment où j'ai commencé ce manga. Devais-je me plonger dans l'histoire et placer l'intrigue dans ce contexte, ou me tourner vers la fantasy ? Mais grâce à cela, à l'époque, j'ai fait de nombreuses recherches historiques et cela m'est utile. Il y avait des éléments qui semblaient pouvoir être utilisés tels quels ; comme par exemple, le fait que l'époque de Jeanne d'Arc et de Dracula coïncident, même si ce n'est que très bref. A ce moment-là, il m'est arrivé de penser que je pourrais peut-être faire errer mon héros dans toute l'Europe.
Et pourquoi, au lieu de coller à la réalité historique, avez-vous ajouté des éléments de fantasy ?
Et bien, je pensais que si l'on se repose trop sur les faits historiques quand est jeune, on finit par brider son imagination. Par exemple, maître Misteru Yokoyarna*, qui dessine maintenant des manga historiques, n'a-t-il pas écrit Tetsujin 28* ou Babel Il*, à ses débuts ? Il y a également maître (Shotaro) Ishinomori* qui se consacre récemment beaucoup aux mangas basés sur la recherche, mais il a créé entre autres Cyborg 009*... C'est pourquoi, avant de faire des mangas de cette sorte, je veux lancer des défis à mon imagination pendant que je suis jeune. Les mangas historiques, j'en ferai quand je prendrai de l'âge, vous voyez.
Vous vous êtes basé sur votre imagination pour créer l'univers de Berserk, mais avez-vous eu des sources d'inspiration ?
Oh oui, beaucoup ! Pour les films, Hellraiser** et Le Nom de la rose**, par exemple. J'ai aussi toujours beaucoup aimé Escher*. Bon, je pense que les gens qui lisent Berserk savent déjà tout ça... J'ai aussi incorporé des éléments des Contes de Grimm.
Avez-vous créé ce monde dans son ensemble, de manière structurée, quand votre imagination s'est mise en marche ?
Oh, il faut vraiment que je fasse ça, un de ces jours (rires). Je n'en ai jusqu'ici qu'une vision encore vague.
Et qu'en est-il de l'étendue de cet univers ? Jusqu'au moment où Griffith devient enfin un God Hand, c'était le monde des humains qui était au centre de l'histoire, mais, comment dire, à partir de là, on a l'impression que des monstres peuvent apparaître n'importe quand. On peut même se demander si vous allez faire apparaître Dieu et le Diable ?
Non, je pense que c'est la frontière à ne pas dépasser. Si Dieu et le Diable sont définis par des mots, alors le monde aura une limite, on pourra en voir le bout, et on aura l'impression qu'il ne pourra plus s'étendre. Et en fin de compte, je me demande si ce ne sont pas les hommes qui donnent naissance à ces êtres, puisque ce sont les humains qui leur donnent une réalité. On en revient à la question de savoir qui vient en premier, de la poule ou de l'œuf. Tout est miroir de l'humanité ; et je ne pense pas aller plus loin en matière d'images. Je veux seulement les utiliser afin qu'elles servent de référence au lecteur.
Encore une question de détail. Qu'en est-il des sports de combat ? Dans Berserk, ces scènes sont importantes...
J'aime beaucoup ça, mais je n'ai ni lu, ni rassemblé beaucoup de documentation. J'avais seulement en tète des images de samouraïs et de chevaliers. Je veux dessiner l'action de manière réaliste... une harmonie de réalité et de fiction. C'est cela qui est difficile. "Tout détruire d'un coup" : c'est l'image précise que j'avais de Guts, et de l'épée qu'il utilise. À ce niveau-là, j'ai commencé à me demander s'il existait vraiment un style de combat à l'épée semblable, en ayant l'impression qu'ils étaient tous différents, quelque part. Mais bien que je souhaite consulter la documentation existante, je voudrais également éviter de briser l'image que j'avais en tête depuis le début. Je voudrais trouver le meilleur équilibre possible entre les mangas de combat bien documentés, et les animes de SF ou de fantasy. C'est au visuel que je veux donner la priorité, même si on me rétorque : "Mais ça, ça se fait pas !". Alors, les bonds jusqu'au ciel de Hokuto No Ken vont peut-être un peu trop loin, mais autorisez-moi au moins le "je te frappe, tu exploses". Après, je m'en lave les mains. (rires).
Je vais un peu insister sur les arts martiaux, mais... Même si Berserk est un monde mélangeant combat à l'épée et fantasy, on peut se demander si, lors du duel entre Guts et Griffith, le fait que ce dernier gagne en retournant ses articulations ne pourrait pas vraiment se produire ?
Non, je ne sais pas si c'est à la portée du premier venu. En fait, il y a pas mal de gens dans mon entourage qui sont très calés en sports de combat, y compris certains qui en pratiquent. Bien que j'aime plutôt ça, lorsque je suis avec eux, je me dis que je suis un bleu de chez bleu ! (rires). Si je mobilisais toutes mes connaissances actuelles, je pourrais peut-être faire un manga de combat valable, mais je ne pourrais pas atteindre le niveau de ces gens autour de moi. En me comparant à eux, j'ai compris que je n'étais pas un expert. Alors, je laisse cette responsabilité à d'autres.
Mais sous leur influence, vous devez bien aimer ces sports ?
Oui, jusqu'à un certain point. Mais décidément, ce que je préfère, ce sont les mangas, les histoires. Je ne suis pas fan du fait de se battre en lui-même, mais il arrive qu'un combat ait une dimension dramatique. Pour prendre un exemple récent, lors du match de Tyson contre Holyfield*, j'en ai eu les larmes aux yeux. C'était incroyable... Enfin, c'est un ami qui me l'avait enregistré. Lors de la pesée, en voyant leurs deux corps, je me suis dit : "Hé ! À ce niveau, c'est même plus du poids lourd (rires). Il faut dire que c'est le corps d'Hollyfield qui me sert de modèle pour Berserk, maintenant. Il a des abdos incroyables ; la manière dont ils sont répartis, symétriquement, je n'avais jamais vu ça. Se forger un tel corps doit demander des efforts extraordinaires !
Vous dites que ce que vous préférez, c'est lire des mangas et des histoires dramatiques, ce qui tout de même est en relation avec votre travail. N'avez-vous pas de hobby qui s'éloigne de la création de manga ?
Ces derniers temps, pour mon hobby, je dirais les jeux vidéos, car on peut en faire pendant un temps très court. Ces temps-ci, ce que j'adore, ce sont les jeux de simulation. Autrement, j'aime aussi les Gal Games* et les jeux d'action. Bah, disons que j'aime presque tout ce qui est à la mode.
Vous y jouez souvent. Cela vous aide à vous changer les idées ?
Oui, exactement. Je joue tous les jours environ une heure d'affilée. Ça me permet d'aller assez loin. Parce qu'il y a des jeux qu'on peut finir en deux heures ! Bah, c'est comme ça. J'ai pas mal de parties sauvegardées, et je pense m'y remettre quand je serai en vacances. En fait, j'ai acheté une Nintendo 64 il n'y a pas longtemps.
Et comment répartissez-vous votre temps entre travail et loisirs ? Pourriez-vous nous détailler votre emploi du temps, avant une deadline ?
En gros, mes journées se passent ainsi : je me lève entre 19h et 20h. Je me mets au travail entre 20h30 et 21h. Puis, un peu après, je dîne, avant de retourner à mes crayons. La pause suivante, je la prends vers 3h du matin, où je mange à nouveau. Pendant ce repas-là, je regarde les vidéos que j'ai enregistrées jusqu'à 3h30 environ, puis je me remets au travail. Je prends mon dernier repas vers 6h, et je retravaille jusqu'à environ midi ; voire jusqu'à 13, 14 ou 15h. Si je peux m'arrêter plus tôt, jusqu'à 11h - 11h30, c'est selon. Et les jours se suivent et se ressemblent.
Vous fixez-vous un quota de production précis ?
Oui, cela revient à ça. Au cas où je n'ai pas terminé, je rattrape le retard le jour suivant... Je m'arrange en général pour me laisser un jour de marge dans mon planning, à cet effet. Et c'est ainsi que j'ai fini par ne plus avoir de vacances. Mais sans ces jours de réserve, je pense que j'accumulerais les retards. En ce qui concerne le travail en lui-même, les jours où je dessine les esquisses sont les plus productifs. Pour l'encrage, je suis censé suivre le même planning, mais malheureusement...
Combien de pages par jour ?
Pour les esquisses au crayon, 6 par jour, je crois. À ce rythme, j'ai fini en un mois. J'ai deux deadlines par mois et je me concentre seulement sur le dessin. Je m'occupe des story-boards d'un seul coup, à un autre moment, ce qui n'est pas compris dans les deux semaines de production ; mais le responsable, Shimada, m'arrange ça.
Quelle étape est la plus difficile ?
Ah, je crois que décidément, c'est le dessin. Le pire, c'est juste avant de dormir. A partir de 6 heures du matin, j'ai l'impression de faire des heures supplémentaires. Malgré tout, il arrive que cela ne suffise pas, alors j'utilise mes jours de réserve à ce moment-là. Je n'ai jamais ce problème lors de la phase d'esquisse, mais après...
Et comment travaillez-vous ? Êtes-vous du genre à vous concentrer ou à travailler "tout en", par exemple ?
Ah, ce serait le second. Je travaille tout en regardant la télé, ou alors en écoutant de la musique. Ce que je fais en silence, c'est m'occuper des story-boards. Autrement, il y a toujours autre chose.
Est-ce que cela sert de bruit de fond, et vous prenez une pause quand il y a une émission que vous voulez regarder ou quand vous regardez ce que vous avez enregistré ?
C'est à peu près ça. Même quand des amis jouent aux jeux vidéos à côté de moi, bizarrement, non seulement le bruit ne me dérange pas, mais ça m'aide même à avancer plus vite. Je suis fait comme ça.
Et pour les accessoires ? Y a-t-il des objets dont vous avez absolument besoin quand vous travaillez ?
Je dois beaucoup m'hydrater, alors j'ai toujours ça (une bouteille en plastique d'eau minérale) à côté de moi.
Alors, vous n'êtes pas un accro du café ?
Ah, si, j'en suis un. Il arrive que j'en boive tellement que ça me détraque l'estomac. Alors, je me mets au thé. Et quand je ne me sens pas bien même avec le thé, je passe à l'eau. Et là, je guéris. Je reprends le café, je me redétraque, je repasse au thé, puis à l'eau. C'est à peu près le truc (rires).
Donc, à la base, vous resteriez au café si vous aviez un estomac robuste...
Oui, mais j'en bois une telle quantité...
Vous n'avez aucune occasion de sortir pour boire un coup ?
Je ne déteste pas ça, mais là... je n'en ai aucune, hein ?
Et les jours de repos ?
Non plus... Cette année, je n'en ai vraiment pas pris un seul. Mais là, je vais bientôt avoir deux semaines de vacances, pour la première fois depuis longtemps. Quoique, si ça se trouve, je vais finir par les employer à rechercher un nouvel appartement, pour déménager.
Alors, vous ne voyez presque jamais la lumière du jour ?
Seulement le lever du jour, dans la véranda. Mais le soleil est si brillant que ça m'éblouit et me fait mal aux yeux quand j'y vais. La condition dans laquelle je me concentre le mieux, c'est sous cette lumière électrique. Je n'aime pas la lumière du soleil. Je suis un vampire, hein ?
Et le sport ?
De temps en temps, j'y pense, et je fais des pompes ou des abdos, mais il faut que j'aie le temps...
Mais vous semblez en pleine santé. Alors, peut-on dire vous avez réussi à organiser votre rythme de vie ?
Oui, du moment que j'ai justement un rythme à suivre, je peux m'y faire. Je me dis souvent que je suis un mangaka par nature, quelqu'un qui était fait pour la vie de mangaka. C'est dur et il n'y a pas de vacances, mais en respectant des règles de vie quotidiennes, je ne trouve pas cela pesant. En revanche, je n'ai aucune force de concentration en cas de crise de dernière minute...
Vous avez dit que vous étiez fait pour le manga, mais depuis quand avez-vous voulu, et pensé devenir mangaka ?
Oh, depuis si longtemps que je ne m'en souviens plus. Peut-être depuis la maternelle, car c'est avant d'entrer au primaire qu'on dessine pour la première fois. Je ne peux vraiment pas m'en souvenir. Je me souviens juste que la première fois que j'ai dessiné un manga sur un cahier B5, c'était en CE1. C'était certainement une manière de montrer qui j'étais. Faire plaisir aux gens et recevoir des compliments grâce à mes dessins est peut-être la chose la plus heureuse qui me soit arrivé dans mon enfance. Je pense que l'adulte que je suis germait déjà en moi. Petit, je déménageais souvent, et dessiner était ce qui me permettait de me faire des amis. Quand j'y pense maintenant, c'est lors des cours d'arts plastiques que j'ai dû affirmer mon identité (rires).
Et ce rêve d'enfant, ou ce don, à quel moment avez-vous pensé en faire votre métier ?
Après mon entrée au lycée. Avant cela, je fonctionnais juste sur des images. Dessiner des mangas, c'était créer des images, pour moi. Ils avaient une force visuelle, mais je ne m'attachais pas à construire des histoires. Au lycée, je suis entré en section artistique, et je me suis fait de très bons amis, qui s'intéressaient aux films, ou à la musique ; et avec eux, je me suis rendu compte que je manquais de substance. De plus, parmi eux, il y avait un groupe de cinq qui voulaient devenir mangaka et dessinaient tout en entretenant un autre don, par exemple pour la guitare. C'est ainsi que j'ai reçu diverses influences, car il me faisaient découvrir des films intéressants à voir, des livres à lire absolument, des choses que je devais faire si je voulais devenir mangaka. Voilà le genre de groupe que nous étions. Je ne sais pas si c'est encore vrai pour les lycéens d'aujourd'hui, mais de notre temps, il y avait aussi une sorte d'émulation entre amis, on voulait montrer aux autres le meilleur de soi-même. Pour savoir comment y arriver, comment être le meilleur, je pensais devoir lire autant de livres et voir autant de films que possible, par exemple ; je n'arrêtais pas. Cela m'a permis de me rendre compte qu'un manga basé uniquement sur les dessins ne pouvait être équilibré. Et c'est pour cela qu'une fois à l'université, j'ai fait des efforts pour arriver à construire mes scénarios. Là, j'ai participé à un concours, et vous connaissez la suite...
Et jusqu'ici, avez-vous eu une expérience en tant qu'assistant ?
Aucune.
Alors, vous avez appris seul à structurer vos images et répartir les cases ?
Oui. Mais vous savez, dans le groupe d'amis du lycée dont je vous parlais tout à l'heure, on apprenait seuls, sur le tas, je n'ai donc pas eu de maître.
N'y a-t-il pas des mangaka que vous aimez et qui vous ont influencé ?
Alors là, j'ai été inspiré par une tonne d'entre eux, de toutes les époques. Je suis une vraie éponge, à tel point que je ne peux précisément identifier qui m'a influencé en quoi. J'ai reçu d'innombrables influences successives, qui se sont accumulées comme des couches sur un bonhomme de neige, et j'en suis arrivé à mon style de dessin actuel.
Et en dehors de vos influences, quelles œuvres aimez-vous en tant que lecteur ?
J'apprécie le visuel lui-même, mais aussi les histoires, alors ce serait celles que j'aime au point qu'elles m'influencent. Donc, j'aime tous les mangas que j'ai lus.
Maintenant, vous êtes dessinateur de manga professionnel, tout le monde vous lit. De ce fait, par conscience professionnelle ou volonté de faire plaisir à vos lecteurs, y a-t-il des œuvres dont vous comptez vous inspirer dans vos mangas, à l'avenir ? Ou alors au contraire, des œuvres qui vous semblent intéressantes, sans calcul aucun ?
Je n'ai aucune conscience de ces choses. Même quand moi, je dessine, je sais qu'il y a encore une part du lecteur en moi, qui s'incorpore sans que je sache quand...
En discutant avec vous, il apparaît que vous avez des centres d'intérêt très larges. Alors, bien que vous travailliez en ce moment sur Berserk, n'y a-t-il pas beaucoup d'autres thèmes que vous aimeriez explorer ?
Il y a plein de choses que j'aimerais faire, mais je n'ai pas le temps ! (rires) l'ai bien commencé un scénario de SF, mais je l'ai laissé en plan. Je voudrais vraiment avoir plus de temps !
Et qu'en est-il des autres genres ? Vous n'avez pas envie d'essayer de travailler sur des films d'animation, par exemple ?
Pas trop. C'est sans doute à cause de mes amis, puisqu'il y a dans mon entourage des gens qui sont très doués dans d'autres domaines que moi, que je serais peut-être tenté d'essayer. Et puis, il faut que je fasse bien ce que j'ai à faire. Berserk est la première vraie série que je publie, et si je commence à m'éparpiller et à ne pas la terminer, ce serait triste, non ?
Alors, pour ce Berserk sur lequel vous vous concentrez, pouvez-vous nous dire dans quelle direction vous souhaitez aller ?
Je voudrais introduire davantage de personnages féminins. Ce n'est pas un monde d'hommes uniquement, et là, il lui manque cette touche plus délicate. Donc, je voudrais rajouter une ou deux filles, et également, même si ce ne sera pas un remplacement de la troupe du Faucon, je dois à nouveau entourer Guts, à peu près de la même façon, de personnages récurrents. Car Guts tout seul, ce ne serait pas facile. Mais cette fois, ce ne serait pas des personnages qui s'entendraient avec lui comme la troupe du Faucon, certains pourraient être des antagonistes, des personnages qui permettraient d'aller dans différentes directions.
J'ai hâte de découvrir ces nouveaux personnages ! Vivement la suite ! Et merci beaucoup à vous pour cette intéressante discussion.
*Bastard ! : manga de Kazushi Hagiwara prépublié depuis 1988
*Hokuto No Ken : manga deTetsuo Hara écrit par Buronson, prépublié entre 1983 et 1988. Plus connu en français en tant que "Ken le survivant".
*Misteru Yokoyarna : mangaka décédé en 2004
*Tetsujin 28 : manga de Misteru Yokoyarna paru entre1956 et 1966. Considéré comme le premier manga de genre mecha, mettant en scène un robot géant.
*Babel Il : manga de Misteru Yokoyarna paru en 1971. Plus connu en animé en France.
*Shotaro Ishinomori : mangaka décédé en 1998
*Cyborg 009 : manga de Shotaro Ishinomori paru en 1963
*Hellraiser : série de films d'horreur britanniques dont la parution date de 1997 voir le dossier "Influences"
*Le Nom de la rose : roman de l'écrivain italien Umberto Eco paru en 1980 voir le dossier "Influences"
*Escher : artiste (peintre) néerlandais voir le dossier "Influences"
*Tyson contre Holyfield : combat de boxe poids lourds qui a eu lieu en novembre 1996, qui a été élu combat de l'année
*Gal Games : aussi appellés "Bishojo game", jeux mettant en scène des jolies filles
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